Droit du Numérique

Mesures techniques de protection (DRM): Sony condamnée

15 Janvier 2007, 20:07pm

Publié par Nicolas Herzog


Mesure techniques de protection (DRM): Sony condamnée à informer clairement et de manière explicite les consommateurs que les baladeurs numériques qu'elle commercialise ne permettent l'écoute que des seuls fichiers musicaux téléchargés sur le site www.connect-europe.com.

Dans un jugement du 15 décembre 2006 prononcé par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre, la société Sony a été notamment condamnée pour tromperie pour ne pas avoir clairement et de manière explicite tenu informé les consommateurs que les baladeurs numériques qu’elle commercialisait ne permettaient l’écoute que des seuls fichiers musicaux téléchargés sur sont site
www.connect-europe.com. 

Les faits sont les suivants : 

L’association de consommateurs UFC-Que Choisir s’est aperçue que la société Sony associait aux fichiers musicaux téléchargés sur son site Internet connect-europe des mesures techniques de protection rendant illisibles lesdits fichiers avec des baladeurs numériques autres que ceux de la marque Sony. 

Constatant cette pratique préjudiciable à la collectivité des consommateurs sur le marché du téléchargement payant de musique en ligne, qu’elle analysait comme des agissements de tromperie et de subordination de vente au sens des articles L.213-12 et L.122-13 du Code de la consommation, l’association UFC-Que Choisir a cité la société Sony devant le Tribunal de Grande Instance de Nanterre. 

L’association demandait en substance au Tribunal d’enjoindre, sous astreinte, à la société Sony de cesser d’utiliser des mesures techniques de protection incompatibles avec les baladeurs numériques autres que ceux de la marque Sony et de faire figurer une mention sur son site Internet ainsi que sur l’emballage des baladeurs numériques informant le consommateur de la restriction d’usage affectant le matériel qui ne permet pas l’écoute de fichiers musicaux téléchargés à partir de n’importe quel site légal de téléchargement. 

Le Tribunal rappelle dans un premier temps dans son jugement du 15 décembre 2006 les caractéristiques essentielles du secteur économique concerné : 

  • Le marché du téléchargement payant de musique en ligne est un marché naissant : s’il représente actuellement une faible partie du marché global de la musique (0,1% en 2004), il est prévu une forte croissance de ce secteur dans les prochaines années ;
  • La musique téléchargée est destinée à être transférée puis écoutée sur un ordinateur, à permettre au consommateur de graver ses propres CD, à être stockée et gérée sur l’ordinateur et enfin, à être transférée sur un baladeur numérique ;
  • La circulation des œuvres musicales téléchargées doit faire l’objet d’une compression selon divers formats pour en permettre le stockage et la circulation par Internet ;
  • Les techniques de compression utilisées sont le fruit de choix technologiques et qualitatifs ; elles permettent une restitution auditive de qualité variable, selon le format et le taux de compression adopté : la société Sony a ainsi développé, l’occasion de la mise en place de son site Connect un format de compression dénommé ATRAC 3 ; les principaux concurrents de ce format sont le sociétés Microsoft et Apple avec les formats WMA (protégé) et AAC ;
  • La mise à disposition des fichiers musicaux en ligne sur les sites légaux de téléchargement doit s’effectuer dans un cadre contractuel propre au respect des droits d’auteur et voisins : ils sont ainsi dotés de mécanismes techniques de protection des droits d’auteur et voisins dits DRM (Digital Rights Management) associés à un format de compression ;
  • Le silence conservé par la directive européenne n°2001/29/CE du 22 mai 2001sur les conditions de mise au point des mesures techniques de protection a mis les opérateurs concernés en présence d’un choix, soit coopérer techniquement pour développer un mesure technique de protection commune soit développer, de manière autonome, une mesure technique de protection spécifique à chaque offre de musique en ligne : les opérateurs ont choisi la seconde branche de cette alternative, ce qui a pour effet de limiter l’interopérabilité entre fichiers musicaux vendus en ligne et le matériel d’écoute par ailleurs commercialisé (baladeurs numériques) ;
  • Les formats de compression MP3, WMA (non protégé) et WAV, utilisés dans le cadre des échanges dits Peer to Peer, ne sont assortis d’aucune mesure technique de protection de droits d’auteur et sont audibles par la plupart des appareils mis sur le marché ;
  • Le format MP3 tend à devenir le format universel de compression de la musique dont il permet une distribution simple et efficace en ligne ;
  • Il existe depuis juin 2006 des sites légaux de musique en ligne sans mesure technique de protection et donc lisible sur la plupart des baladeurs numériques du marché.
 Le Tribunal poursuit en rappelant le cadre juridique applicable au litige : 


  • Les articles L.111-1, L.213-1 et L.122-1 du Code de la consommation relatifs à l’obligation d’information des consommateurs, au délit de tromperie et à l’interdiction des ventes subordonnées ;
  • Le considérant 54 du préambule, les articles 6.1, 6.3 et 8.1 de la directive n°2001/29/CE relatifs au régime juridique des mesures techniques de protection ;
  • Les articles L.331-5, L.335-3-1, et L.331-7 du Code de la propriété intellectuelle transposant en droit français la directive précitée.

 

Le Tribunal constate qu’aucune disposition légale ou règlementaire n’impose une interopérabilité totale entre les fichiers musicaux et les baladeurs numériques. 

Ainsi, les mesures techniques de protection sont autorisées par la loi à condition de préserver un équilibre entre le droit des ayant droits et le droit des consommateurs. 

Sur le fond, s’agissant du délit de tromperie, la société Sony considérait que les informations fournies aux consommateurs sur l’emballage des baladeurs numériques, tout comme celles fournies dans les clauses du contrat conclu par les internautes téléchargeant des fichiers musicaux à partir du site Connect, étaient suffisamment claires et accessibles. 

Le Tribunal dans son jugement procède à une analyse des conditions générales du contrat de licence du site Connect et constate notamment que si le consommateur est effectivement informé de l’existence d’un système de protection des fichiers musicaux, il n’en demeure pas moins que cette information est très allusive et ne délivre aucune information directe sur le matériel compatible. 

Concernant les modes d’emploi accompagnant les baladeurs, le Tribunal constate que ceux-ci ne mentionnent pas de manière aisément compréhensible leur aptitude à ne lire que les fichiers musicaux téléchargés sur le site Connect. 

Eu égard à ces éléments, le Tribunal considère que le consommateur n’apparaît pas en mesure d’élaborer exactement et en toute connaissance de cause sa volonté d’acheter ou de ne pas acheter la prestation ou le produit, et qu’en conséquence le délit de tromperie est établi. 
Enfin, s’agissant de la contravention de subordination de vente, le Tribunal constate que la double restriction d’usage affectant les prestations offertes par les baladeurs numériques et par le site de téléchargement Connect conduite à contraindre le consommateur à souscrire deux contrats. 

En effet, la mise à disposition de fichiers musicaux à partir du site Connect est nécessairement subordonnée à l’achat d’un baladeur numérique Sony. 

Dès lors, la contravention de subordination de vente est établie. 

En conséquence, la société Sony a été notamment condamnée, sous astreinte de 1000 € par jour de retard, de faire figurer sur les emballages des baladeurs numériques de la gamme Net WM qu’elle commercialise une mention informative indiquant que ces baladeurs numériques permettent l’écoute de fichiers musicaux commercialisés, téléchargés à partir du seul site légal Connect. 

La société Sony a également été condamnée à publier sur son site Internet un communiqué judiciaire informant les consommateurs de cette décision.

Enfin, la société Sony a été condamnée à payer à l’association UFC-Que Choisir la somme de 10.000 €à titre de dommages et intérêts. 

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