Dailymotion condamnée en qualité d'hébergeur (article 6-I-2 LCEN)
Dans un jugement du 13 juillet 2007, le tribunal de grande instance de Paris a condamné Dailymotion à indemniser les ayants
droit du film Joyeux Noël qui pouvait être visionné illégalement, en streaming, sur le site www.dailymotion.fr.
Le tribunal, tout en considérant que Dailymotion exerçait une activité d’hébergeur, au sens de l’article 6-1-7 de la loi du 21
juin 2004, et non d’éditeur, l’a néanmoins condamnée à indemniser les ayants droit en considérant qu’il lui incombait de mettre en place un contrôle a priori des contenus diffusés, dans la
mesure où elle avait connaissance que des vidéos illicites étaient mises en ligne sur son site.
Cette décision intervient après le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 16 février 2005 qui avait qualifié
Tiscali, pour le même type d’activité, d’hébergeur, infirmé en appel par un arrêt du 7 juin 2006 qui l’avait qualifié d’éditeur.
Ce jugement intervient également après l’ordonnance du tribunal de grande instance de Paris du 22 juin 2007 qui a qualifié
Myspace d’éditeur.
Il existe donc indiscutablement une incertitude sur la qualification juridique que doivent recevoir ces sites communautaires
de contenus générés par les utilisateurs.
Les faits de l’affaire Dailymotion sont en substance les suivants :
Le 30 janvier 2007, la société Nord Ouest Production a fait constater par huissier que le film Joyeux Noël pouvait être visionné en
streaming sur le site internet www.dailymotion.fr.
Par exploit d'huissier en date du 18 avril 2007, les ayants droit ont assigné Dailymotion aux fins de voir juger qu’en
reproduisant et en représentant sans autorisation préalable le film Joyeux Noël, cette dernière a commis des actes de contrefaçon portant atteinte au droit moral de l’auteur et aux droits
patrimoniaux de la société Nord Ouest Production et à ses droits de producteur de vidéogrammes, ainsi que des actes de parasitisme.
Dailymotion soutenait qu'il appartenait aux internautes qui se proposaient de mettre des vidéos en ligne de s’assurer de leur licéité
au regard des droits d’auteur.
Qu’en outre, elle justifiait diffuser sur son site une page de mise en garde à l’attention des destinataires du service en premier
lieu dans la rubrique Conditions d’utilisation et en second lieu lors de toute mise en ligne, l’utilisateur ne pouvant accéder au service que s’il avait expressément accepté ces conditions
générales.
Elle ajoutait enfin avoir procédé au retrait immédiat du film concerné dès qu’elle a été informée de son utilisation illicite
et ainsi respecté les dispositions de l’article 6-I-2 de la LCEN qui dispose que :
« Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public, par des
services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir
leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur
caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère, ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou
en rendre l’accès impossible »
Les parties demanderesses quant à elles s’opposaient à l’argumentation de Dailymotion en soutenant que cette dernière se prévalait
indûment de l’exonération de responsabilité instaurée par la LCEN, dans la mesure où son activité relevait en réalité du domaine de l’édition de contenu.
Selon les demanderesses l’activité de Dailymotion devait recevoir la qualification d’éditeur et non d’hébergeur pour les
raisons suivantes :
-
le phénomène dit de la « vidéo communautaire » ne génère aucun revenu au titre de l’activité de stockage de données ;
-
le modèle économique choisi repose sur une exploitation commerciale liée exclusivement à la vente d’espaces publicitaires ;
-
les annonceurs sont d’autant plus enclins à cette manière de promouvoir leurs produits que le nombre de visiteurs du site est important, élément déterminant des sommes qu’ils sont prêts à investir ;
-
or, la fréquentation du site étant directement liée à la qualité des contenus proposés au public, seule la diffusion d’œuvres protégées et non celle de vidéos d’amateurs permet d’augmenter l’audience et de stimuler la vente d’espaces publicitaires ;
Dans son jugement du 13 juillet 2007, le tribunal de grande instance de Paris refuse de qualifier Dailymotion d’éditeur de
contenu en précisant que :
« …la commercialisation d’espaces publicitaires ne permet pas de qualifier la société Dailymotion d’éditeur de
contenu dès lors que lesdits contenus sont fournis par les utilisateurs eux-mêmes, situation qui distingue fondamentalement le prestataire technique de l’éditeur, lequel, par essence même, est
personnellement à l’origine de la diffusion, raison pour laquelle il engage sa responsabilité. »
Selon le tribunal, seul le régime de responsabilité des hébergeurs, de l’article 6.I.2 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004
pour la confiance dans l’économie numérique, est susceptible de s’appliquer à Dailymotion.
Par application de ce texte, le tribunal constate que Dailymotion doit être considérée comme ayant connaissance de faits et
circonstances laissant à penser que des vidéos illicites sont mises en ligne sur son site et doit en conséquence en assumer la responsabilité, sans pouvoir rejeter la faute sur les seuls
internautes.
De ce fait, selon le tribunal, il appartenait à Dailymotion de mettre en œuvre des moyens propres à rendre impossible l’accès
au film Joyeux Noël, qu’il lui incombait donc de procéder à un contrôle a priori des contenus mis en ligne.
Le tribunal a en conséquence condamné Dailymotion à indemniser les ayants droit du film Joyeux Noël.
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