Droit du Numérique

Informatique: groupe de contrats/clause limitative de responsabilité

2 Janvier 2008, 11:01am

Publié par Nicolas Herzog

Dans un arrêt du 13 février 2007[1], la cour de cassation s’est prononcée sur l’indivisibilité de plusieurs contrats informatiques qui convergeaient vers la même finalité et a écarté le jeu d’une clause limitative de responsabilité estimant que le fournisseur avait manqué à son obligation essentielle de délivrance.
 
Cet arrêt mérite d’être souligné tant il est rare que la cour de cassation ait l’occasion d’avoir à connaître de litiges dans le domaine de l’informatique.
 
Les faits de l’espèce sont les suivants :
 
La société Faurecia a souhaité déployer en 1997 sur ses sites un logiciel intégré couvrant principalement la gestion de production et la gestion commerciale (ERP).
 
Pour ce faire, elle a conclu avec la société Oracle le 29 mai 1998 un contrat de concession de licences de logiciel, un contrat de maintenance et un contrat de formation et dans le courant du mois de juillet 1998 un contrat de mise en œuvre du « programme Oracle applications ».
 
La solution provisoire mise en place ayant connu de graves difficultés, Faurecia a engagé une procédure judiciaire afin d’obtenir la résolution pour inexécution des quatre contrats susvisés.
 
Dans son arrêt du 13 février 2007, la cour de cassation a appliqué la théorie des groupes de contrats pour juger que les quatre contrats litigieux étaient indivisibles et que la résolution de l’un entraînait nécessairement la résolution des autres (1.).
 
La cour de cassation a par ailleurs jugé que le manquement de la société Oracle à son obligation de livraison, qualifiée d’essentielle, était de nature à faire échec au jeu de la clause limitative de responsabilité (2.).
 
1. L’application de la théorie des groupes de contrats
 
La théorie des groupes de contrats est fondée sur l’idée selon laquelle la multiplication des opérations économiques complexes remettrait en cause le principe individualiste de l’effet relatif des conventions de l’article 1165 du Code civil[2].
 
B. Teyssié est le premier à faire émerger cette notion[3].
 
Il distingue les chaînes de contrats, composés de plusieurs conventions conclues sur un même objet (ex. ventes successives), des groupes de contrats, composés d’une série de contrats, dont les rapports les uns aux autres peuvent varier, mais qui « participent à la réalisation d’un même objectif »[4].
 
L’intérêt de cette théorie est de faire apparaître le lien qui unit les divers contrats impliqués.
 
De ce lien ou de cette cause commune, peuvent découler diverses conséquences juridiques, notamment :
 
  • Permettre une série d’actions directes contractuelles en cas de contrats conclus entre parties différentes mais tendant à permettre la réalisation d’un objectif commun ;
 
  • La vie de l’un des contrats du groupe peut avoir des répercussions sur celle des autres contrats.
 
Dans son arrêt du 13 février 2007, la cour de cassation a fait application de cette théorie pour décider que la cour d’appel avait justement jugé que la résolution de l’un des contrats entraînait nécessairement celle des trois autres :
 
« […] les quatre contrats litigieux étaient interdépendants, dans la mesure où ils poursuivaient tous le même but et n'avaient aucun sens indépendamment les uns des autres, les prestations de maintenance et de formation ne se concevant pas sans les licences sur lesquelles elles portaient et l'acquisition de ces licences par la société Faurecia n'ayant aucune raison d'être si le contrat de mise en oeuvre n'était pas exécuté […] »
 
Il n’est pas certain que la cour de cassation aurait rendu la même décision si les quatre contrats litigieux avaient été conclus avec des fournisseurs différents.
 
L’application de la théorie des groupes de contrats reste en effet exceptionnelle par rapport à celle de l’effet relatif des conventions.
 
Dès lors, il reste prudent en pratique, lorsqu’un maître d’œuvre n’est pas désigné, que les parties mentionnent expressément les contrats qu’elles ont entendu lier de manière indivisible.
 
2. Le manquement à une obligation essentielle fait échec à l’application de la clause limitative de responsabilité
 
Sur ce point, la cour de cassation s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence « Chronopost »[5] en considérant que le manquement de l’une des parties à son obligation essentielle privait d’effet la clause limitative de responsabilité insérée dans le contrat.
 
La cour de cassation relève dans son arrêt que Oracle a manqué à son obligation essentielle de livraison du progiciel et que ce manquement est de « nature à faire échec à l’application de la clause limitative de réparation […]».
 
En matière de contrats informatiques les clauses limitatives de responsabilité sont donc inefficaces, non seulement en cas de faute lourde ou dolosive, mais également en cas de manquement à une obligation essentielle.
 
L’application de cette notion « d’obligation essentielle » aux fournisseurs de solutions informatiques a pour effet d’augmenter substantiellement les risques financiers qui reposent sur eux en cas de litige portant sur l’inexécution d’une telle obligation et devra donc être prise en compte lors de la négociation des contrats.


[2] B. Berlioz-Houin et G. Berlioz, le droit des contrats face à l’évolution économique, D. 1985, p. 14 s
[3] B. Teyssié, Les groupes de contrat ; LGDJ, 1975
[4]B. Teyssié, Les groupes de contrat ; LGDJ, 1975, p. 95
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