Liens commerciaux: Panorama de la jurisprudence Google
Google : Contradiction entre la jurisprudence du Tribunal de Grande Instance de Paris et celui de
Nanterre
Google est connue du grand public pour son moteur de recherche gratuit qui est utilisé par la plus grande majorité des
internautes.
Parallèlement à cette activité de moteur de recherche, Google a développé à compter de l’année 2001 en France une
offre payante de services publicitaires sur ses sites, selon deux programmes dénommés « Adwords » et « Premium Sponsorship ».
Dans
des conditions spécifiques à chacun, et moyennant l’achat de mots-clés, ces programmes permettent à des annonceurs d’apparaître sous forme de courte annonce comportant
l’adresse de leur site Internet, sur la page de résultats de la recherche du moteur Google dans un cadre ou un bandeau intitulé « lien commercial », dès lors qu’il
existe une certaine concordance entre les mots-clés achetés par l’annonceur et ceux contenus dans la recherche demandée par l’internaute au
moteur.
Depuis la commercialisation de ces offres, Google, en sa qualité de prestataire de services publicitaires et non
de moteur de recherche, a fait l’objet de nombreuses procédures judiciaires.
1. La
jurisprudence initiée par le tribunal de Grande Instance de
Nanterre
Dans le
premier jugement rendu dans ce type d’affaire, le Tribunal de Grande Instance de Nanterre a condamné Google pour contrefaçon de marque.
En l’espèce, les sociétés titulaires des marques « Bourses des voyages » et « Bourse des vols »
reprochaient à Google d’avoir permis à des annonceurs de réserver des mots clés qui correspondaient à des marques déposées.
Dans un jugement du 13 octobre 2003, le tribunal de grande instance de Nanterre a considéré qu’il était :
« … patent que la société GOOGLE FRANCE utilise, ou en
tout cas a utilisé, les marques déposées des sociétés VIATICUM et LUTECIEL dans des conditions telles qu’elle permet à des concurrents directs de ces sociétés de proposer à des clients potentiels
des billets d’avion, voyages, séjours, etc… c'est-à-dire des produits et services désignés dans l’enregistrement des dites marques.
De telles faits sont contraires aux dispositions de l’article L.713-2 du Code de Propriété Intellectuelle qui
interdisent, en l’absence d’autorisation de son propriétaire, l’usage d’une marque déposée pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement.
…la société GOOGLE FRANCE ne saurait se retrancher derrière la technologie mise en œuvre pour le fonctionnement de
ses services de publicité, et il lui appartient, lorsque la recherche de l’internaute porte sur une marque déposée, de trouver le moyen d’empêcher les annonces de tiers concurrents n’ayant aucun
droit sur ces marques.
Les sociétés VIATICUM et LUTECIEL sont donc fondées à demander la
cessation et la réparation des actes de contrefaçon caractérisés ci-dessus. »
Le Tribunal a en conséquence interdit a Google d’afficher des liens commerciaux au profit d’entreprises offrant les produits ou services protégés par les marques « Bourse des vols » « Bourse des voyages » lors de la saisie sur le moteur de recherche d’une requête reproduisant les marques précitées, et ce sous astreinte de 1500 € par infraction
constatée.
Google a également été condamnée à payer aux titulaires et exploitants des marques « Bourses des voyages » et
« Bourse des vols » la somme de 70.000 € à titre de réparation du préjudice causé.
Dans un
arrêt du 10 mars 2005, la cour d’appel de Versailles a confirmé en son intégralité ce jugement.
Dans les
affaires qui ont suivi, dites « Méridien », « Eurochallenges », le Tribunal de Grande Instance a suivi ce raisonnement en considérant que Google
s’était rendue coupable de contrefaçon.
Le Tribunal a maintenu cette position dans son jugement du 2 mars 2006, statuant au fond dans l’affaire
« Meridien », alors même que le Tribunal de Grande Instance de Paris avait déjà opéré une rupture, telle exposée ci- après.
2. La rupture opérée par le Tribunal de Grande Instance de
Paris
Dans la première affaire de ce
type qu’il a eu à connaître, dite « VUITTON », le Tribunal de Grande Instance de Paris s’est, dans un jugement du
4 février 2005, conformé à la jurisprudence initiée par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre en condamnant Google notamment pour contrefaçon de
marque.
Puis, dans un jugement du 8 décembre 2005 rendu dans une affaire dite
« KERTEL », le Tribunal de Grande Instance de Paris a opéré un revirement de jurisprudence.
En effet, Le Tribunal rappelle que « …l’offre faite par Google consiste à proposer aux annonceurs de faire
apparaître sur une partie de l’écran qui rend compte du résultat de recherche, l’adresse de sites associée à un message promotionnel non pas selon un classement de pertinence mais selon le coût
que l’annonceur est disposé à verser ».
S’agissant de la contrefaçon, le Tribunal indique que le fait pour Google de proposer un mot clé reproduisant une marque
à un annonceur ne réalise pas un acte de contrefaçon.
En effet si Google utilise la marque « Kertel » pour référencer et présenter les liens commerciaux de
l’annonceur, en l’espèce une société dénommée Cartephone, cet usage du signe ne s’accompagne d’aucune proposition de produits ou services visés à l’enregistrement de la marque opposée mais
participe d’une activité de prestataire de services de publicité.
Dans
ces conditions, le Tribunal constate que la condition de l’identité de produits ou services à ceux désignés dans l’enregistrement exigée par l’article
L 713-2 du code de la propriété intellectuelle n’est pas réalisée.
Néanmoins, le Tribunal a jugé que Google s’est rendu coupable d’une faute quasi-délictuelle en proposant une marque protégée à titre de mot clé sans effectuer de contrôle préalable des mots clés réservés par ses clients et susceptibles de porter atteinte aux droits détenus par des tiers.
Ce faisant le Tribunal conclut que Google a favorisé une activité contrefaisante pour les besoins de son activité
publicitaire.
Dans son
dernier jugement rendu le 12 juillet 2006 dans une affaire dite « GIFAM ET AUTRES », le Tribunal de Grande Instance de Paris maintient sa position en précisant que la responsabilité de Google ne saurait être recherchée sur le fondement de la contrefaçon de marques ou de l’atteinte aux marques
renommées.
Le Tribunal a affiné son raisonnement en précisant que dès lors que la
société Google suggère comme mots clés des signes, objet de droits privatifs puis en fait un usage commercial il lui appartient vis-à-vis du titulaire de ceux-ci de vérifier que ses annonceurs
sont bien habilités à les utiliser.
Ainsi, le Tribunal a ordonné à Google de mettre en place un dispositif de contrôle a priori de la disponibilité légale
des mots clés suggérés, et ce sous astreinte de 1500 € par jour de retard.
A ce jour, il existe donc une contradiction entre la jurisprudence du Tribunal de Grande Instance de Paris et
celle du Tribunal de Grande Instance de Nanterre.
En effet, là où pour des faits similaires le Tribunal de Grande Instance de Nanterre condamne Google pour
contrefaçon, le Tribunal de Grande Instance de Paris la condamne sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle de l’article 1382 du Code civil.
S’il est souhaitable que les juridictions supérieures mettent un terme à cette contradiction, il n’en demeure
pas moins qu’elle ne crée pas d’insécurité juridique insurmontable puisque quelque soit le fondement choisi, les juridictions ordonnent à Google de faire cesser le trouble illicite et la condamne
à indemniser les tiers lésés au titre du préjudice qu’ils ont subi.
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