Droit du Numérique

Escape Game : La simple reprise d’un concept ne saurait constituer un acte de parasitisme ou de concurrence déloyale

8 Avril 2020, 09:49am

Publié par Nicolas Herzog

Par un arrêt du 5 mars 2020 (Cour d'appel, Paris, Pôle 5, chambre 5, 5 Mars 2020 – n° 17/13954), la Cour d’appel de Paris a rappelé que la simple reprise d’un concept d’Escape Game ne saurait constituer un acte de parasitisme en l’absence de justification d’investissement intellectuel ou financier important.

 

La société Hint Hunt Paris (HHP) propose à ses clients des activités d’’escape game, pour lesquels elle dispose d'une franchise qui lui a été concédée par la société de droit anglais Hint Hunt Unlimited Ltd.

 

En vue de trouver des locaux commerciaux adaptés à ce jeu, la société HHP a confié un mandat de recherche à la société Camae, agence immobilière.

 

C'est dans ces conditions qu'un bail commercial a été conclu.

 

A la suite de cette relation d’affaires, la société Indis, qui préside la société Camae, a créé la société Toogoood qui, a pour activité l’exploitation de jeux d’escape game.

 

Après l’avoir mis en demeure de cesser ses activités, Hint Hunt Paris a assigné Togoood devant le Tribunal de commerce de Paris

 

Par un jugement du 22 mai 2017, le Tribunal de commerce de Paris a condamné Togoood à payer à Hint Hunt Paris une somme de 72 000 € à titre de dommages et intérêts, outre 5 000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

 

Par un arrêt du 5 mars 2020, la Cour d’appel de Paris a infirmé le jugement de 1ère instance en considérant que :

 

  • S’agissant des actes de parasitisme :

La Cour rappelle que le parasitisme est le fait, pour un professionnel, de se placer dans le sillage d'un concurrent et de tirer profit, sans contrepartie, du fruit de ses investissements et de son travail ou de sa renommée, sans porter atteinte à un droit privatif, en réalisant ainsi des économies considérées comme injustifiées.

 

Pour qu'il y ait parasitisme, il faut que soit préalablement établie l'existence d'une technique ayant nécessité des efforts tant intellectuels que financiers importants, ou d'un nom commercial jouissant d'une réputation ou d'une notoriété particulière, résultant notamment d'une publicité très onéreuse et quasi permanente et représentant une valeur économique importante en soi.

 

La Cour poursuit en précisant que le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent ne constitue pas un acte de parasitisme.

 

Elle conclut qu’en l'espèce, Hint Hunt Paris ne démontre aucunement avoir fourni un investissement intellectuel ou financier important pour développer le concept de jeu d’escape game en France puisqu’elle s'est contentée d'acheter des droits de licence, sans avoir réalisé de campagne promotionnelle coûteuse et importante.

 

La Cour a en conséquence jugé qu’aucun acte de parasitisme ne pouvait être reproché à Togoood.

 

  • S’agissant des actes de concurrence déloyale :

La société HHP faisait grief au représentant légal de Togoood d’avoir utilisé les informations remises dans le cadre du premier mandat de recherche confié à la société Camae.

 

Sur ce point, la Cour a constaté que les informations litigieuses consistent en un document de six pages qui décrit très sommairement le concept d'escape game et son essor dans le monde à l'aide notamment d'extraits de coupures de presse, le projet d'ouverture à Paris par HHP et la licence exploitée, le chiffre d'affaires espéré sur trois ans, les coûts, ainsi que le plan de financement.

 

Elle a considéré que HHP ne démontrait pas que ces informations ont été utilisées pour la création ou le développement de la société Toogoood.

 

Elle a également considéré que HPP ne démontrait pas l’existence d’un savoir-faire technique particulier.

 

Il apparaissait d’ailleurs douteux qu'une société normalement prudente laisse un accès à de simples visiteurs à des savoirs qu'elle considère comme dignes de protection.

 

La Cour a en conséquence jugé que les actes de concurrence déloyale n’étaient pas caractérisés.

 

  • S’agissant de la copie des signes distinctifs :

Sur ce point, la Cour rappelle que la concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu'un signe qui ne fait pas l'objet de droits de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, sous certaines conditions tenant à l'absence de faute par la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle sur l'origine du produit, circonstance attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce.

 

L'appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d'une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l'imitation, l'ancienneté d'usage, l'originalité, la notoriété de la prestation copiée.

 

En l’espèce, la Cour a jugé qu’il n’existait aucune similarité entre les deux noms commerciaux :  le nom commercial de Togoood est composé de quatre mots qui sont toujours utilisés ensemble « Happy hour escape game » et dont la signification en anglais est différente des mots « Hint Hunt ».

 

Le seul point commun des noms commerciaux étant les premières lettres « H » des deux premiers mots.

 

La Cour a considéré que cet élément n'était pas suffisant pour caractériser une intention de copier le nom commercial de la société HHP par la société Toogoood aux fins de capter de façon déloyale la clientèle de son concurrent sur le même marché.

 

La Cour a enfin considéré que les logos des deux sociétés utilisaient deux lettres « H » imbriquées l'une dans l'autre, mais ils apparaissaient toutefois nettement distincts par les couleurs et les formes.

 

La Cour a en conséquence jugé qu’aucune copie des actes distinctifs n’était caractérisée.

 

  • S’agissant de la copie du site Internet :

La Cour a considéré que la similitude dans la présentation des sites internet des deux sociétés n'est pas avérée dans la mesure où les couleurs, le graphisme, la mise en page étaient différents.

 

Le seul fait que les deux sites comportaient des rubriques déroulantes similaires ne caractérisait aucune imitation fautive car elles étaient banales.

 

La similarité de l’information délivrée sur les deux sites internet n’était pas non plus fautive dans la mesure où ils concernaient des jeux similaires destinés aux mêmes publics.

 

La Cour a en conséquence jugé que la copie du site Internet n’était pas caractérisée.

 

  • S’agissant de la copie de la stratégie commerciale :

Sur ce point la Cour a considéré que le fait pour les deux sociétés de proposer aux joueurs d'être pris en photographie sur un fond avec le « logo » social ou encore de proposer des bons cadeaux ou d'organiser des jeux concours est usuel.

 

La Cour a en conséquence jugé que cela ne caractérisait aucune copie fautive par Toogoood de la stratégie commerciale de son concurrent.

 

  • S’agissant du dénigrement :

La Cour rappelle que le dénigrement d'un concurrent consiste à jeter le discrédit sur la personne, l'entreprise ou les produits ou services concurrents en répandant dans le public des informations malveillantes.

 

Sur ce point, la Cour a considéré qu’aucun dénigrement ne peut résulter de l'attribution d'une note de quatre étoiles sur un total de cinq étoiles sur le site Tripadvisor.

 

La Cour a en conséquence jugé que le dénigrement n’était pas caractérisé.

 

  • S’agissant de l’utilisation des mots-clés AdWords de Google :

Sur ce point, la Cour a rappelé que le fait pour une société d'utiliser, sous la forme de mots-clés employés dans le cadre d'un service de référencement, la dénomination sociale et le nom de domaine d'un concurrent peut générer un risque de confusion fautif.

 

Toutefois, le risque de confusion ne découle pas ipso facto de l'emploi à titre de mot-clé du nom commercial ou de la dénomination sociale d'un concurrent et doit donc être établi.

 

En l'espèce, la Cour a considéré qu’il n'est pas contesté que Toogoood a acheté le nom commercial de son concurrent Hint Hunt.

 

Toutefois il résultait des éléments produits aux débats que cet achat ne pouvait susciter aucune confusion par rapport à un consommateur d'attention moyenne puisque le lien hypertexte renvoyait vers le site internet de la société Toogoood et était précédé de la mention « annonce » encadrée en jaune.

 

Cette « annonce » permettait à l'internaute normalement informé et raisonnablement attentif de déterminer aisément qu'il n'existe aucun lien entre le site internet de la société Toogoood et les produits de son concurrent.

 

La Cour a en conséquence considéré qu’aucune faute n’avait été commise concernant l’utilisation des-clés AdWords de Google.

 

La Cour d’appel a en conséquence infirmé le jugement de 1ère instance et débouté Hint Hunt de l’intégralité de ses demandes.

 

Nicolas Herzog  - H2O Avocats

Avocat Informatique – Numérique – Logiciel – Internet